Dialogue entre deux grandes écrivaines françaises et japonaises.

 

À l’occasion de la deuxième édition du Choix Goncourt Japon et de la publication en japonais du livre de Clara Dupont-Monod, première lauréate du Choix Goncourt du Japon avec son livre, S’adapter.

 

Clara Dupont Monod

Natsu Miyashita (c) Yoshika Horita

Le prix Goncourt est l’un des trois grands prix littéraires internationaux, avec le prix Nobel et le Bookerprize. Il est le prix littéraire le plus prestigieux de France, fondée grâce au legs des frères Goncourt, grands collectionneurs d’art et férus de littérature.

Le Prix Goncourt se décline aussi à l’étranger, dans plus d’une trentaine de pays à travers le monde. Le Choix Goncourt du Japon a vu le jour en 2021 d’un commun accord entre les membres du comité de direction et l’Académie française Goncourt. Des jurys étudiants ou lycéens sont constitués dans chacun des pays ayant son Choix Goncourt, Les jurés lisent les œuvres présélectionnées du Prix Goncourt les romans en français, et argumentent durant la discussion également dans cette langue.

Le premier ouvrage primé au Japon est le livre de Clara Dupont-Monod, « S’adapter » (publié chez Stock en 2022 et traduit en japonais par Yuriko Matsumoto, publié au éditions Hayakawa en mars 2023).

 

Pourquoi ce choix par les étudiants japonais ?

Le livre raconte l’histoire d’un enfant lourdement handicapé qui n’a pas vécu longtemps et de sa famille, et on peut dire qu’il pose la question universelle du « soin », de la « prise en charge » (care). Cependant, ici surgit une difficulté : le personnage principal, « l’enfant » (comme on l’appelle tout au long du roman), étant muet et aveugle, il ne peut pas être le narrateur ni le personnage qui focalise le point de vue. Ce sont les pierres de la cour (« nous ») qui servent de pont entre l’enfant et les autres personnages : placées autour du gouffre béant creusé au centre de la famille (« creux » est un mot-clé qui revient fréquemment), elles accompagnent l’ensemble du récit et, grâce au discours indirect, entrent librement dans la pensée intérieure de toute la fratrie (le fils aîné, la fille aînée et la cadette), en observant la croissance de chacun de ses membres tout en offrant un aperçu du monde des « enfants » de leur propre point de vue. Le roman n’est donc pas centré sur l’enfant handicapé lui-même, mais plutôt sur la façon dont les pensées et les attitudes des autres frères et sœurs fluctuent à l’égard de cet enfant qui a changé la nature même de la famille, et sur la manière dont chacun « s’adapte » à cette situation difficile.

L’évolution de la prise de conscience par les enfants de leur « inadaptation » face au membre handicapé de leur famille et, à partir de là, la façon dont ils « s’adaptent » à cette situation, attire de nombreux lecteurs dans la mesure où chacun peut se projeter dans les personnages et devenir « le propre lecteur de soi-même » (Proust). On est frappé également par la beauté poétique de cette prose : la description de la nature qui, par le biais des pierres, transcende l’axe du temps humain, atteint à une dimension cosmique et la représentation des cinq sens des personnages, y compris de l’enfant handicapé, est d’une grande délicatesse.

Compte rendu des échanges entre les étudiants jurés 2022 rédigé par Monsieur Nakae et traduit par Monsieur Michaël Ferrier

Intervenants

Clara Dupont-Monod

Elle l’auteure de plusieurs romans dont La Passion selon Juette (Grasset, 2007), Le roi disait que j’étais diable (Grasset, 2014) et chez Stock en 2018, La Révolte. Elle est la première lauréate du prix Goncourt du Japon avec son livre « S’adapter ». Ce livre, qui a également remporté le prix Femina 2021 ainsi que le prix Goncourt des lycéens en 2021, décrit la vie d’un enfant handicapé et de sa famille. Comme dans un conte, les pierres de la cour de la maison sont les témoins des regards, des sentiments des frères et sœurs ainsi que des événements qui marquent la vie de la famille.

C’est l’histoire d’un enfant aux yeux noirs qui flottent, et s’échappent dans le vague, un enfant toujours allongé, aux joues douces et rebondies, aux jambes translucides et veinées de bleu, au filet de voix haut, aux pieds recourbés et au palais creux, un bébé éternel, un enfant inadapté qui trace une frontière invisible entre sa famille et les autres. C’est l’histoire de sa place dans la maison cévenole où il naît, au milieu de la nature puissante et des montagnes protectrices ; de sa place dans la fratrie et dans les enfances bouleversées. Celle de l’aîné qui fusionne avec l’enfant, qui, joue contre joue, attentionné et presque siamois, s’y attache, s’y abandonne et s’y perd. Celle de la cadette, en qui s’implante le dégoût et la colère, le rejet de l’enfant qui aspire la joie de ses parents et l’énergie de l’aîné. Celle du petit dernier qui vit dans l’ombre des fantômes familiaux tout en portant la renaissance d’un présent hors de la mémoire.

Comme dans un conte, les pierres de la cour témoignent. Comme dans les contes, la force vient des enfants, de l’amour fou de l’aîné qui protège, de la cadette révoltée qui rejettera le chagrin pour sauver la famille à la dérive. Du dernier qui saura réconcilier les histoires.

La naissance d’un enfant handicapé racontée par sa fratrie.

Un livre magnifique et lumineux.

Natsu Miyashita

Née dans la préfecture de Fukui en 1967, Natsu Miyashita se passionne très tôt pour la littérature. Après des études de philosophie, elle écrit plusieurs nouvelles et romans qui enthousiasment libraires et critiques. En 2007, elle publie Une Forêt de laine et d’acier, finaliste du prestigieux prix Naoki et lauréat du Prix des Libraires 2016 au Japon.

« Un parfum de forêt, à l’automne, à la tombée de la nuit. Le vent qui berçait les arbres faisait bruisser les feuilles. Un parfum de forêt, à l’heure précise où le soleil se couche. À ceci près qu’il n’y avait pas la moindre forêt alentour. Devant mes yeux se dressait un grand piano noir. Pas de doute possible : c’était bien un piano, laqué et imposant, au couvercle ouvert. À côté se tenait un homme. Il m’adressa
un regard furtif, sans un mot, avant d’enfoncer une touche du clavier. De la forêt dissimulée dans les entrailles de l’instrument s’élevèrent une nouvelle fois ces effluves de vent dans les feuilles. La soirée s’assombrit un peu plus.
J’avais dix-sept ans. »

Traduit du japonais par Mathilde Tamae-Bouhon

Yosuke Fukai, Modérateur

Professeur associé à l’Université du Tohoku. Il a passé beaucoup de temps à étudier les textes du poète français du XIXe siècle, Arthur Rimbaud. Sa thèse de doctorat à l’Université Paris-Sorbonne, s’intitulait « La multi-voix de Rimbaud », et était une analyse d’« Une saison en enfer ». Actuellement, il s’intéresse au rapport entre Rimbaud et le premier mouvement romantique. Son autre domaine de recherche est l’enseignement de la langue française pour laquelle Il a reçu en 2013 une certification en pédagogie française. Afin de rendre ses cours plus attractifs, il produit lui même du matériel pédagogique audiovisuel qu’il publie ensuite sur YouTube. Il invite tout ceux qui portent un intérêt à la littérature française et à son apprentissage ludique à venir dans son bureau !

 

Informations générales

 

Date : 28 mardi mars 2023

Horaire : 18h30-20h00

Langue : français-japonais, traduction simultanée

Organisateur : Ambassade de France au Japon, Institut français du Japon, Comité de direction du Choix Goncourt du Japon

Collaborateur : Maison d’édition Hayakawa

 

Lieu

Institut français du Japon – Tokyo

15 Ichigaya-funagawara-machi, Shinjuku-ku, Tokyo 162-8415
Tel: 03-5206-2500

Espace image

Réservation sur Peatix :

 

03
28
  • 2023-03-28 - 2023-03-28
  • 18:30 - 20:00
  • Institut français Tokyo - Espace images
    〒 162-8415
    15 Ichigaya-funagawara-machi, Shinjuku-ku Tokyo