Claude Monet, « Essai de figure en plein-air: Femme à l’ombrelle tournée vers la gauche » (1886) Huile sur toile – 131×88 cm Paris, musée d’Orsay © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Stéphane Maréchalle

 

Un regard sur les œuvres du Musée d’Orsay avec le philosophe Emanuele Coccia

Découvrez les œuvres du Musée d’Orsay à travers le regard du philosophe Emanuele Coccia grâce à l’initiative « Une semaine avec… » du Musée d’Orsay.

 

Le musée d’Orsay a invité chaque semaine pendant sa fermeture un artiste à partager son regard sur ses collections, en choisissant et en commentant une œuvre par jour, pendant sept jours.
Au cours de la troisième semaine, c’est le philosophe Emanuele Coccia qui a livré sa vision de sept de ses peintures préférées.

 

A l’occasion de la diffusion prochaine d’une rencontre philosophique en ligne entre Emanuele Coccia et le philosophe Futoshi Hoshino autour de la thématique « la vie des plantes », nous vous proposons de (re)découvrir les sept tableaux choisis et commentés par le philosophe.

 

Une semaine avec Emanuele Coccia

 

Édouard Vuillard, « Au lit » (1891). Huile sur toile – 74×92 cm Paris, musée d’Orsay Legs verbal d’Edouard Vuillard exécuté grâce à M. et Mme K. X. Roussel, beau-frère et soeur de l’artiste, 1941 © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

 

 

Jour 1 : Édouard Vuillard, « Au lit » (1891).
« Peu de tableaux décrivent avec autant de perfection l’étrange physique qui règne dans notre chez-nous. Nous en faisons l’expérience ces jours-ci.
Dès qu’on laisse coïncider le monde commun avec les limites de notre appartement, l’espace-temps semble se façonner différemment. La distance se perd, la perspective s’effondre, les choses se noient dans leur couleur. L’espace est la peau de nos yeux.
C’est pour cela que toute la maison semble se concentrer autour d’un lieu, le lit -l’espace du rêve, plus que du sommeil. Tout intérieur n’est que la force qui transforme le réel en rêve. »

 

 

 

 

 

 

 

Eugène Grasset, « Chêne en branche » (entre 1890 et 1903) Crayon – 18,4×14,0 cm Paris, musée d’Orsay Acquis avec l’aide de la Société des Amis du Musée d’Orsay, 1993 © Musée d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

 

 

 

Jour 2: Eugène Grasset, « Chêne » (entre 1890 et 1903).
« La frontière entre la science et l’art est beaucoup moins nette que ce que nous imaginons. La connaissance du vivant a toujours eu la nécessité de passer par l’art.
Comprendre et saisir l’ensemble des espèces, imaginer les formes de leurs corps, signifie pouvoir s’approprier leur apparence sensible : il n’y aurait pas de biologie sans la médiation du dessin, de la peinture, ou de la sculpture.
Mais l’inverse aussi est vrai : s’interroger sur la façon dont les arbres construisent leur corps pour pouvoir les représenter, comme le fait Eugène Grasset dans ses notes, signifie pousser l’architecture à devenir botanique: c’est des arbres qu’il faut apprendre comment construire le monde. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Odilon Redon « Marguerites » (1901). Huile, détrempe, fusain et pastel sur toile – 123×149,5 cm Paris, musée d’Orsay © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

 

 

 

Jour 3: Odilon Redon « Marguerites » (1901).
« Les fleurs semblent se détacher du sol, comme si elles étaient des étoiles qui flottent dans un fluide lumineux. L’œuvre d’Odilon Redon est loin d’être le caprice d’un artiste: c’est un diagnostic scientifiquement exact.
La vie de toute plante n’est que l’effort pour capturer la lumière du soleil et l’insuffler dans la chair minéral de notre planète; chacune d’elles travaille à l’assimilation de la Terre à une étoile.
Et grâce à elles -grâce à l’herbe, grâce aux fleurs-, à chaque fois que nous mangeons, nous cherchons et nous trouvons une portion du ciel, une portion de lumière astrale capturée dans la matière terrestre. »

 

 

 

 

 

 

Charles Rennie Mackintosh, Chaise (vers 1898) Chêne teinté et verni, paille et crin – 136x50x46 cm Paris, musée d’Orsay © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Jean Schormans

 

 

 

Jour 4: Charles Rennie Mackintosh, Chaise (vers 1898).
« Les objets ne sont pas des formes de l’espace. Ce sont des aimants, des sirènes qui nous appellent avec un chant irrésistible et qui capturent notre corps sans que nous nous en apercevions.
Chaque objet magnétise le monde, et le transforme en un champ de force constamment instable: utiliser un objet signifie se laisser influencer par ce magnétisme, le dessiner au contraire signifie le dompter.
La pièce que Charles Mackintosh dessina grâce à l’aide de sa femme Margaret MacDonald pour un salon de thé d’Argyle Street à Glasgow fait d’une chaise un démon protecteur qui convoque une mouette pour veiller sur l’esprit de l’usagère où de l’usager. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Anonyme, « Algues, composition de plantes utilisées par Talbot pour les « Photogenic Drawings » (1834) et « The Pencil of Nature » (1844) » (entre 1834 et 1844). Algues : composition utilisée pour des dessins photogéniques (11,2×8,3 cm) Paris, musée d’Orsay © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay)

 

 

 

Jour 5: Algues, composition de plantes utilisées par William Henry Fox Talbot pour les « Photogenic Drawings » (1834) et « The Pencil of Nature » (1844).
« Il y a un lien secret entre les choses de ce monde. C’est grâce à lui qu’aucun objet ne peut jamais s’enfermer en lui-même. C’est grâce à lui que tout dans ce monde nous parle d’autrui. Ce lien s’appelle impression.
L’impression ne se fonde pas sur la nature des objets, elle touche tous les êtres et les réunis, elle est indifférente au temps.
La lumière, selon Talbot, c’est cette force de l’impression qui permet à une chose de vivre une deuxième vie, dans le corps d’autrui: elle redouble tout corps en une myriade d’aimables spectres. Grâce à elle toute chose porte en elle l’impression du monde qu’elle a traversé. Toute chose ne cesse de s’imprimer sur tout ce qu’elle rencontre. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pierre Bonnard, « L’Allée d’arbres » (1918) Huile sur toile – 71×59 cm Paris, musée d’Orsay Donation Jean-Pierre Marcie-Rivière, 2010 © Musée d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

 

 

 

Jour 6: Pierre Bonnard, « L’Allée d’arbres » (1918).
« La forêt, que nous avons exilée en dehors des villes, a été le cocon où notre espèce est venue au monde. C’est dans le corps à corps avec les arbres que notre anatomie a été sculptée.
C’est pour mieux attraper les branches des arbres que nous avons appris à opposer le pouce, et c’est pour mieux saisir la profondeur de l’espace que s’est développée la présence de deux yeux sur la même face du visage.
Peindre des arbres signifie tout d’abord se plonger dans une enfance plus ancienne que chacune de nos vies. Mais cela signifie aussi et surtout oser le risque de peindre le portrait du vieil artiste dont nous sommes le chef-d’œuvre inconnu. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Claude Monet, « Essai de figure en plein-air: Femme à l’ombrelle tournée vers la gauche » (1886) Huile sur toile – 131×88 cm Paris, musée d’Orsay © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Stéphane Maréchalle

 

 

 

Jour 7: Claude Monet, « Essai de figure en plein-air: Femme à l’ombrelle tournée vers la gauche » (1886).
« Sortir des ateliers et des villes ne signifie pas seulement libérer le regard. C’est franchir le seuil d’un espace où les choses ne sont plus capturées par un désir de contrôle.Elles ne gardent pas une distance de sécurité, elles ne respectent pas les sens uniques, les voies différenciées. Tout entre dans le corps de l’autre. Tout vit à fleur de la peau des autres êtres.
La peinture, hors-ateliers et hors-ville doit cesser de diviser les corps et devenir l’art de la proximité absolue des formes, des couleurs, des êtres. Elle doit abandonner la politique et devenir climat.
La politique sépare les nations, les espaces, les races. Le climat les mélange. Après le confinement nous sortirons à nouveaux des villes. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A propos d’Emanuele Coccia :
Emanuele Coccia est maître de conférences à l’EHESS. Il a été professeur invité aux universités de Tokyo, Buenos Aires, Düsseldorf, Weimar et Munich et fellow à l’Italian Academy for Advanced Studies de Columbia University à New York. Parmi ses publications, traduit en plusieurs langues, on citera La vie sensible (Payot et Rivages 2010), Le Bien dans les choses (Payot et Rivages 2013), La vie des plantes (Payot et Rivages 2016) et Métamorphoses (Payot et Rivages 2020). En 2019 il a été conseiller scientifiques de l’exposition Nous les Arbres à la Fondation Cartier pour l’art contemporain.

 

 

 

Une semaine avec Emanuele Coccia est une idée originale du Musée d’Orsay ,diffusée sur leur page Facebook entre les 6 et 12 avril 2020.

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  • 2020-05-01 - 2020-06-14